Plus de deux ans que H. — appelons-le ainsi — n’a pas voyagé, une éternité pour quelqu’un qui aime bouger, découvrir le monde et ses richesses; le désastre du Covid en a décidé ainsi, ce maudit virus qui a séparé les amis, les familles, les amants, l’homme de son environnement. La vie était à l’arrêt, la terre s’est figée, la fin du monde n’était pas loin, prédisaient les augures en mal d’inspiration.
Pendant le confinement, H. a beaucoup lu, rêvé de pays lointains et proches, des souvenirs remontent à la surface de sa mémoire, l’Italie proche, son avant-dernier voyage à Naples avec un groupe de journalistes, sur les hauteurs de cette ville, il admirait, face à la mer, la péninsule de Sorrente, l’île d’Ischia, l’omniprésent Vésuve.
Parmi ses lectures, H. a dévoré un roman qui l’a fortement ému et surtout aiguisé ses souvenirs et affûté son désir de voyage. Il porte le titre l’Amie prodigieuse signé Elena Ferrante, un pseudonyme d’une Napolitaine pur jus (dont on découvrira l’identité). L’ouvrage fut un phénomène littéraire, un succès de librairie mondial qui a atteint des millions de lecteurs. Il traite des mutations sociologiques, économiques de l’Italie et éminemment les particularismes de Naples qui est au cœur du roman. Depuis ce succès planétaire, la ville, apprend-on, voit affluer un nouveau genre de visiteurs : des lecteurs du roman. Voilà comment Naples est revenue dans la tête de H. en rêve et en réalité.
On est au mois de février 2022, le spectre du virus s’éloigne, c’est un matin de soleil matinal, éclatant de lumière, les annonces et autres publicités vantant les paysages et les sites, les vacances foisonnent et se multiplient dans sa boîte mail, des offres étonnamment attractives H. n’a d’yeux que pour l’Italie; il décide de réserver son billet sur la ligne Tunis-Gênes de la compagnie Grimaldi, une compagnie qu’il connaît pour avoir emprunté ses navires plus d’une fois.
Salerne et Capoue
Et le rêve prend son départ, nourri par les souvenirs et autres anecdotes. Ne dit-on pas que les meilleurs voyages sont ceux qu’on prépare.
Naples, ses environs, Salerne où il a résidé pendant une semaine d’été lors du Festival de cinéma pour enfants (Festival de Giffoni). Salerne, la ville historique que H. a sillonnée en compagnie d’une journaliste péruvienne dont le père médecin lui a conseillé la visite de la première école de médecine en Occident. Siège et carrefour de la transmission du savoir, cette école, fondée au IXe siècle, a rayonné plus de six siècles en Occident. L’école est réputée pour les études des sources de la médecine antique, principalement byzantines et arabes et surtout par leur divulgation en Occident. Pétrarque disait : «La renommée dit que c’est à Salerne que fut la source et la fontaine de la médecine».
Naples encore, pense-t-il, où il prendra comme guide le roman cité plus haut, complexe et attirante, «le Corso Umberto I qui mène de la gare au port, de style haussmannien, construit après l’épidémie de choléra de 1884» que les Napolitains appellent le Rettifilio (ligne droite). Les quartiers chics, Via Chiala, La Plazza di Martiri, etc. H. traversera les frontières qui séparent le haut du bas de la ville, il ira flâner de zones pauvres aux zones bourgeoises, suivra les tracés de la ville à partir du roman. Quel plaisir de faire entrer les éléments qui composent la ville au cœur d’un simple projet. Chic ! Le rêve d’un beau voyage se précise, il verra Naples autrement.
La côte amalfitaine l’a de tout temps attiré comme un aimant. En rêve encore, il laisse errer son imagination, beau temps, mer bleue et calme, il prendra le train de Naples pour Positano. Tiens, ce village aux nombreuses terrasses, hautement touristiques, fréquenté par les riches; là, il avait rédigé quelques vers, il était en promenade dans cette charmante ville qui surplombe la baie:
Alors que nos amours font pause
Au sommet des branches d’acacias bordant
Les trottoirs sans nom. Les frelons
Dos à la mer, devant les bougainvilliers rouges
Capella San Pietro à Positano
Je me mime, je me ramasse.
Le rêve ne s’arrête pas en si bon chemin, H., l’esprit toujours voyageur, ira un peu plus au nord, à un jet de pierre de Naples, à Capoue (Capua), pour vérifier si l’alliée de Carthage contre Rome, la cité qui a ensorcelé Hannibal, l’empêchant de marcher sur Rome, a gardé encore ses bronzes célèbres, ses capiteux parfums et surtout ses délices. Il pensait à juste titre et pour la circonstance qu’’il n’y a que ce qu’on ne connaît pas qui fascine. Lui était fasciné rien qu’en citant cette phrase: «Les délices de Capoue».
Au retour, sur le bateau en direction du port de La Goulette, H. n’oubliera pas de goûter un cannoli, le meilleur dessert à son avis, celui qui chante la Sicile et le parfum de son enfance.
Et la mer dans tout cela ? H. a d’autres histoires à vivre, il les enrichira durant la traversée La Goulette-Naples.